Carte blanche à Undertaker : Maxime Bihoreau
‘‘PUPPETS’’
Au pavillon de garde du parc théodore Monod, Le Mans
Cet actuel projet a pris naissance autour d'une idée imposée. Un secteur, celui de la Plaine de Saint-Denis à la périphérie de Paris. C'est un vaste espace qui d'un point de vue graphique ne m'intéresse pas, je ne lui trouve aucune profondeur esthétique dans ses structures ou ses agencements. L'Est du quartier et ses rues sont animés par un nombre très conséquent de grossistes en textile, activité commerciale dominante de cette partie de la Plaine au vu de l'abondance des boutiques.
La Plaine de Saint-Denis, qui se constitue d'une multitude de minorités, notamment asiatiques et africaines, comporte également au sein de ces populations une autre minorité, très bien implantée, les mannequins. J'ai choisi d'exposer dans une série de portraits la quantité de ces figures qu'il m'a été donné de voir au sein de cette population silencieuse, et très présente dans la Plaine.
En explorant cette démarche, j'ai pu remarquer qu'une moitié de ces mannequins avaient un visage dessiné dont les traits se rapprochaient pour certains assez de l'humain. Il était même possible d'en desceller des fragments d'émotion sur quelques uns. Mais à aucun moment, l'émotion perçue semble joyeuse, heureuse, ou ouverte. Elle est constamment froide, parfois même mélancolique. Cette sensibilité relative créé un parallèle non volontaire mais audacieux sur ce qui ressort à mes yeux de cette Plaine de Saint-Denis. Un espace hétérogène alliant des structures modernistes neuves mais non esthétiques avec des parcelles d'habitat presque insalubres, repoussant toute idée de charme ou de beauté purement graphique.
De plus il est question d'êtres, parce qu'ils sont humanisés, qui dans une absolue majorité du temps passent totalement inaperçus à nos yeux d'humains (focalisés sur leur fonction primaire et unique, présenter des vêtements). Enfermés dans leur enveloppe plastique inamovible, écartés du moindre choix, ils nous témoignent de leur difficile condition d'existence au travers des émotions perceptibles sur leur visage. Créant un possible parallèle symptomatique de la Plaine entre ces êtres synthétiques et ces minorités issues de l'immigration habitant et travaillant dans cette zone, qui dans leur vie de tous les jours s'affairent pour accéder à un train de vie décent, dans l'aveuglement médiatique et généralisé du reste de la population.
Chose que l'on peut vérifier dans cet espace, au travers de cette masse considérable de corps qui semblent emprisonnés derrière ces murs de verre, c'est l'exploitation de ces pantins. Pour ceux qui sont encore en mesure de ressentir (les mannequins sans visages sont eux désormais aliénés à cette activité commerciale), l'asservissement à cette économie est leur fardeau, leur visage en témoigne, leur émotion transparaît. L'approche de cette activité des grossistes en textile est une approche indirecte du monde capitaliste, des lois marchandes et de leur absence de part morale et de considération sociale. Les règles qui régissent ce milieu tiennent dans l'unique objectif d'accumuler. L'Homme et son corps deviennent à leur tour potentiellement commercialisables. Tout est marchandise. Alors si l'homme est exploitable, qu'en est-il de ses propres créations ? Elles deviennent des esclaves. Une armada d'esclaves, disséminée dans une masse de cellules vitrées.
J'ai fait le choix à posteriori d'inclure un cliché pris dans le quartier Haussmann, et même au Mans, afin d'intégrer une autre vision, celle d'une différente au sein de cette population discrète. Il s'agit au travers de ces photographies de discerner en quoi un contexte et une localité différents laissent à penser un avenir, peut-être, meilleur ? Mirage vite évanoui, et ce malgré les apparences d'un environnement plus riche, car la finalité reste semblable, celle de la vacuité de leur existence.
Maxime Bihoreau
Étudiant de 26 ans en première année de master de photographie à l'Université de Paris VIII, il a entamé sa pratique de manière autodidacte par l'intermédiaire de matériel photographique prêté. Suite à cette rencontre de l'appareil, la découverte de l'oeuvre de Sam Haskins au sein d'une galerie a finalisé sa conversion totale à la photographie. Depuis, sa pratique personnelle s'oriente généralement vers des ambiances originales, des lieux / sujets abandonnés, et plus récemment dans un aspect davantage social peut-être, l'autre dans sa globalité, l'autre socialement, politiquement, religieusement et même traditionnellement. L'autre dans un intérêt purement informatif, anthropologique dans l'idéal, afin d'échapper aux images mentales construites par nos environnements respectifs, souvent trompeurs. Enfin, dans le cadre du mémoire, le sujet lui se dirige vers l'exploration d'un monde extrêmement fermé (ou dans le cas contraire, cadré) celui des sphères de l'élite sociale. Avec en parallèle depuis quelques temps, une tentative de s'essayer au photojournalisme local dans le suivi de mouvements sociaux.