Angélique Boissière ''REFLEXIONS A SOI''.
Au centre des expositions Paul Courboulay / Le Mans.
Comment évoquer la photographie d’Angélique Boissière sans aborder le pan si particulier de l’autoportrait ?
Un rolleiflex au creux des mains, parfois hissé sur son trépied, et un visage neutre presque perpétuellement tourné vers la gauche déclenchent chez le spectateur une étonnante attraction.
Pourquoi subit-on si invariablement une attirance pour un univers qui nous semble au premier abord idéal, naturellement féminin ? Face à ces images, l’œil décèle ce qu’il recèle de simple et d’intime, de foncièrement humain.
L’autoportrait d’Angélique Boissière a très fortement recours à sa réflexion, mais est-ce là un clin d’oeil à l’essor de l’autoportrait dans l’Art concrétisé par la multiplicité des miroiteries? Miroirs, reflets de fenêtres ou de porte-vitrées, nous apparaissent presque à chaque fois et délivrent, sinon un morceau de cadre, ou son entièreté, les fragments d’un corps avec lequel on se familiarise, une figure de femme concentrée sur son ouvrage. Entière, multiple ou détaillée, la photographe nous livre dans une image concrète ce qui peut être un éclat de son âme. Comment interpréter le miroir brisé, le regard inaccessible sinon hors champ ?
Cette pratique naît à l'adolescence pendant ses insomnies, tout d'abord appréhendée en cachette, comme un interdit. Ne disposant que d’elle-même, Angélique est d’abord son propre modèle par soucis de praticité. Disposer d’une chambre à soi est bien pour elle un gage d’épanouissement créatif.
Dans l’intimité de sa chambre, elle se découvre capable de se faire autre. Ce qui est initialement expérimental deviendra vital chez l’artiste qui, avec la photographie, va grandir, se rencontrer, se reconstruire, et se suivre au fil des années. Photographier, et se photographier, développent alors des vertus curatives face à un sentiment de vide, à une angoisse profonde, a déréalisation invivable.
La photographie est en ce sens un outil cathartique véritable. Il se substitue à l’interaction redoutée en devenant une forme de langage indépendante, elle-même vectrice d’émotions.
Et au-delà de l’image, ce sont ses modes de lecture qu’Angélique peut contrôler sciemment. Ici, le féminin n’est pas passif, et s’arrache aux carcans stéréotypés. Avec des points de vue qui sortent de l’ordinaire, telles la contre-plongée poussée à l’extrême, la présence imposante du pied de l’appareil, ou encore des figures dissimulées, la femme artiste est modèle et créatrice sans se corrompre à une fausse-modestie.
Dans sa mise en scène, l’on ne sait par l’image seule qui elle est vraiment, et où se trouve le basculement subtil entre la personne réelle et un possible personnage. L’autoportrait est-il un moyen de façonner un personnage fantasmé voué à plaire, ou d’explorer sa nature profonde ? S’il en ressort une certaine douceur, une mélancolie intemporelle et une simplicité certaine qui revêt une élégance véritable, la profondeur des contrastes et le sérieux présents connotent, non pas la pudeur, mais une retenue.
L’usage du nu, s’il n’est pas une récurrence, est un pied-de-nez à des restrictions intégrées dès l’enfance. C’est de plus une occurrence qui de tout temps, fut présente dans les représentations artistiques et demeurera à jamais éternellement immuable. Mais si la nudité est présente, ce n’est pas pour recourir à la séduction du corps féminin.
L’Angélique en portrait n’a donc rien d’accidentelle, se faisant femme, avec ses faiblesses et ses craintes. C'est cette véracité des émotions perçues, qui, pour l'œil émotif du spectateur un peu voyeur de ces images assumées, lui permet de s'y retrouver, s'y reconnaitre, car ce qui touche assurément, est la perception de l’humain qui dans l’art, domine ses troubles.
Depuis 2014, Angélique Boissière explore la photographie argentique par le biais du moyen-format, qu’elle apprécie pour son cadrage carré. D’une éducation artistique classique entretenue par la pratique de la danse, mais aussi par goût de l’imagerie Impressionniste et Romantique, le nu féminin lui apparaît comme une évidence, pour la place immuable qu’il occupe dans l’Histoire des Arts occidentale.
Artiste tout autant qu’artisane, Angélique intervient lors de toutes les étapes de la création d’une image: la photographe développe elle-même ses pellicules qu’elle retravaille numériquement pour les doter de ce qui fait leur singularité. Le procédé argentique est pleinement exploité par souhait d’escorter tout au long de ces divers processus, l’image imaginée, son support physique, puis sa réalisation ultime. Au-delà de l’usage d’un appareil, l’artiste fait corps avec cette extension qui se matérialise bien souvent par un Pentax 67, ou un Rollefleix faisant partie intégrante de nombre de ses autoportraits.