Hors cadre #8 : Thibault Pierrisnard
À la MJC Ronceray, Le Mans.
Je m’inspire dans ces différents travaux photographiques de la pensée qui réunit les deux concepts de ''vide'' et de ''plein'' qui a été traitée par l’académicien Francois Cheng sur l’art pictural chinois dans son ouvrage éponyme. Ces deux concepts se traduisent concrètement dans la peinture chinoise par le ''plein'' comme étant les traits et le ''vide'', cette surface de papier non peint mais qui ne demeure pas inerte. Le vide lie les choses entre elles et permet leur fonctionnement en un tout. L’art picturale chinois a ceci de fascinant qu’il lie complètement spiritualité et geste pictural. Si ces deux concepts me parlent particulièrement, c’est qu’ils mettent des mots sur des impressions que j’ai du réel ; le monde silencieux, neutre malgré toute l’action qui peut se dérouler devant soi... J’avais envie de m’exprimer sensiblement sur cette dichotomie entre un réel ''présent'' (à soi) et un réel ''cosmos'' qui surpasse notre environnement propre et qui donne parfois à notre action un goût de vanité. Cela rejoint d’autres impressions et pensées comme la lenteur (traité par Milan Kundera dans un ouvrage éponyme). Ce n’est pas cependant une pensée triste, bien au contraire.
C’est une expression poétique qui m’intéresse en travaillant le medium par différents langages. Pour les trois différents travaux, je ne pensais pas l’image comme devant se suffir à elle-même mais dépendante de son support et de la place physique qu’elle prend au sein de celui-ci comme le peintre chinois pensait aussi bien le sujet qu’il avait devant lui que le monde dans lequel ce sujet prenait place.
Je photographie aussi bien en numérique qu’en argentique que j’utilise pour leur différentes caractéristiques techniques et esthétiques.
Trois différentes propositions:
- Un stage chez le photographe manceau Simon Lagoarde m’a permis d’appréhender la lumière dans un environnement de studio. Dès ce moment m’est venue l’idée de cette série de portraits avec un jeu de lumière bien particulier. L’idée de « contraste » est importante dans ce travail. De la même manière que l’on ne conçoit pas la densité d’une lumière sans une présence d’ombre, le portrait est fort par sa présence dans ce cadre serré et dialogue avec ce passe-partout très large et aéré mais qui peut tout de même écraser par sa largeur. Cette recherche m’inspirait le monde immédiatement présent et le monde «cosmos», hors de notre échelle.
- Les pratiques de la marche et de la flânerie que associées à l’idée de « lenteur » m’ont conduit dans la campagne sarthoise. Inspiré par les peintures des maîtres chinois, je cherchais ce paysage matinal d’automne ou d’hiver, brumeux avec un fort sfumato que j’ai fait fondre au développement avec le papier. C’est une recherche de sérénité à travers l’expérience sensible du paysage parcouru.
- Dans une autre idée, j’ai voulu traduire ce vide plus durement en malmenant l’image. Ce sont des photographies qui viennent d’archives personnelles et qui ont une charge sentimentale, des moments forts vécus avec des amis. L’image est emputée de son élément le plus vivant pour laisser apparaître le papier, brut, silencieux, vide mais pas inerte. Il s’agissait là pour moi d’exprimer la contingence de ces moments de vie face au silence du réel.