ANNICK STERKENDRIES
''Posture Imposture''
À L'éolienne à Arnage
"Les photographies de réfugiés, toujours plus nombreuses, si nombreuses que l'on ne sait plus comment y poser le regard, s'arrêter sur ces visages toujours semblables dans le flot d'hommes, de femmes et d'enfants rescapés de traversées périlleuses, sur ces cohortes de migrants marchant sur les routes d'Europe ou massés contre les grilles élevées en hâte pour les contenir, images de la honte pour ceux qui n'ont pas oublié ce que fut le désarroi de nos grands-parents fuyant sur les routes de France l'avancée des armées du Reich.
L'une d'entre elles parfois s'en échappe, comme un cruel répit, le corps d'un enfant déposé par la vague sur une plage de Turquie, moment d'émotion collective trop bref puisque d'autres viendront pour la submerger, le temps n'est pas encore à la contemplation. Prendre, il s'agit bien toujours de prendre, des images efficaces, convaincantes, où l'empathie le dispute à la condescendance, la sincérité à l'indécence, chacune porteuse d’ambiguïté, chacune sans doute nécessaire quand bien même les images jamais n'arrêtent les guerres et que, telles des bouteilles à la mer elles vont, ignorantes de leur destinataire. Comment sortir du reportage, lui offrir d'autres voies que celles du document, et faire de ce qui passe ce qui peut demeurer?
À Calais, Tanger, Lampedusa ou Agrigente, ces seuils vers un ailleurs improbable où l'attente s'organise, où l'ennui et l'espoir se conjuguent, Annick Sterkendries est allée à la rencontre des migrants. Une photographie de plus ont dû songer, résignés, ceux dont la condition ne tient plus parfois qu'à un téléphone mobile. Mais il ne s'agissait pas pour elle d'ajouter aux photographies des "jungles" une photographie de plus. Proposant aux migrants de se coiffer du masque d'un oiseau, sans rien voiler des lieux et du décor, elle les a voulus complices et acteurs, et le moindre des paradoxes n'est pas qu'ainsi rendus anonymes, ils apparaissent singuliers.
Rien d'humoristique pourtant en cette démarche. Les drôles d'oiseaux que capture Annick Sterkendries sont immobiles, sans ailes pour les élever, cloués au sol dans ces camps improvisés, tels ces oiseaux tropicaux auxquels on a rogné le plumage pour mieux les exhiber. Plus cruelle encore est la confrontation avec les oiseaux indifférents, comme ceux glissant au jardin zoologique entre les barreaux des fauves, rendant leur condition plus lourde encore.
Qui n'a rêvé tel Icare, d'être un jour un oiseau, pour survoler les villes et les océans, oubliant pour un temps les lois de la gravité et celles des frontières. Je gage que ceux-là y ont si souvent songé et si longtemps désiré que la proposition d'Annick Sterkendries pouvait se passer de traducteur: ces oiseaux de la jungle sont loin encore du paradis."
Xavier Canonne Directeur du Musée de la Photographie de Charleroi.
ANNICK STERKENDRIES
"En octobre 2013 alors que j'observais le passage migratoire de milliers d'oiseaux, avait lieu un des premiers gros naufrages (médiatisés) au large de Lampedusa. C'est à partir de ces deux événements croisés, que j'ai eu l'idée d'aborder ce sujet dramatique, par la métaphore de l'oiseau. Après quelques recherches de néophyte, j’ai constaté que migrants et oiseaux migrateurs se regroupent aux mêmes endroits, chacun voulant rejoindre l’autre rive par le chemin le plus court.
Quelques mois après leur arrivée, les volatiles feront le chemin inverse. Pour les migrants qui fuient la guerre, la dictature, la pauvreté, retourner (être renvoyé) serait un échec. Ce sujet et sa métaphore me touchaient particulièrement. J'ai réalisé une cagoule tête d’oiseau, très minimaliste et je suis partie à la rencontre des réfugiés dans différentes villes portuaires, Tanger, Nador, Rabat, Ceuta, Melilla, Agrigento, Lampedusa, Calais... Là devant certains endroits significatifs, campements, ports, guérites militaires... je demandais à une personne volontaire de se coiffer de la cagoule et de prendre la pose. Le fait d'être acteur et anonyme plaisait aux réfugiés, l'image de l’oiseau aussi. L’idée de voler au-dessus des frontières les faisait rire et peut-être rêver !"
Annick Sterkendries
----------------------------------
"La comparaison entre des hommes fuyant par nécessité leur pays et des volatiles colonisant périodiquement des contrées est-elle intellectuellement raisonnable, sinon acceptable ? Ce qui a priori semble une figure de style s’avère, à y regarder de plus près, recevable. Durant plusieurs mois, Annick Sterkendries a séjourné dans plusieurs ports aux confins de l’Europe, dans ces zones de transit où se massent des migrants. A l’incongruité de la situation sociale et politique, la photographe réplique par l’adjonction d’une figure métaphorique, un homme à tête d’oiseau, ce rôle étant joué par un migrant. Et ce n’est pas la moindre qualité de cette série de photographies que de nous faire accepter ce rapprochement horripilant pour les Sciences Humaines. Volatiles et humains ont en commun de rechercher un climat plus favorable. Ce qui les pousse à aborder des contrées plus "accueillantes" est sans conteste le manque de nourriture. Ces mouvements de grande ampleur, saisonniers dans le monde animal, méritent également le nom de migrations chez les humains. Il arrive, cependant, que subissant un hiver anormalement froid, des oiseaux anticipent leur départ. L’irrégularité du phénomène chez les bipèdes, n’en qualifie pas moins sa permanence historique. Les annales de l’humanité sont inséparables des phénomènes migratoires, événements majeurs et sans cesse renouvelés. Il faut donc accepter l’idée que ces deux espèces fréquentent l’espace d’une manière similaire. Si les oiseaux ne veulent pas affronter les frimas hivernaux, les humains montrent une aversion quasi-naturelle à fuir les rigueurs dictatoriales. On notera cependant une différence de taille. Si les oiseaux opèrent une nette différenciation entre l’aire de reproduction et l’aire d’hivernage, les humains, eux, ont une nette propension à se reproduire quelque soit l’espace. Si nous persistons dans cette approche, il semble acquis que les oiseaux migrent généralement en Automne. L’homme, lui, choisit rarement son époque de migration. Il la subit. Son exil est la conséquence directe de facteurs indépendants de sa volonté. Les causes en sont connues... Génocides, guerres, torture, famines, et autres infamies. L’ampleur du phénomène migratoire est corrélativement liée à l’intensité de la violence commise envers les populations. Désormais, la plupart des humains migrateurs se déplacent par troupes entières. Dans la préparation de la migration elle-même, l’urgence est ce qui sépare les deux mondes. Les oiseaux préparent leur départ en accumulant des graisses nécessaires à la dépense énergétique du voyage. Les humains se dépossèdent de tout pour ne conserver que des souvenirs et beaucoup d’espérance."
François Cheval. Directeur du Musée Nicéphore Nièpce
Biographie
Annick Sterkendries débarque de sa Belgique natale en Pays de la Loire en 1990. Plasticienne, elle adapte ses techniques en fonction de ses envies et de ses projets avec une prédilection pour l'image. Parabole, allégorie humoristique et sensible son travail s'inspire des lieux, des événements, des rencontres et des faits de société. Il témoigne d'un intérêt certain pour l'ethnologie. En 2003, rattrapée l'urgence de la cause migratoire, elle écrit le projet Posture Imposture et obtient une aide à la création de la DRAC Pays de Loire. De fil en aiguille, sa série de photographies est plébiscitée par Xavier Canonne, Paul Leroux, Audrey Hoareau, François Cheval. Ces deux derniers l'exposeront dans la sélection officiel de PhotoEspana dans l’exposition "Aux portes du Paradis" aux côtés de John Batho, Antoine d’Agata, Peter Knapp, Mathieu Pernot, Juan Valbuena.