Hors cadre #8 : Edwige Lesiourd

''Antr'eau''

À la MJC Ronceray, Le Mans.

edwige lesiourd les photographiques

L’eau est parout sur Terre,
et pourant nulle part elle n’est en trop
Ma démarche de création macro nature se fait évidemment au cœur de l’environnement et s’inscrit dans une réflexion du rapport de l’homme à son origine de vie qui semble disparaître pour l’un et en danger pour l’autre.
L’urgence frappe à la porte mais les discours alarmants et culpabilisants ne semblent pas porter leur fruit. Peut-être est-ce parce qu’ils proviennent de l’extérieur, au lieu de venir de soi ? Le seul levier possible semble alors être d’interpeller autrement la conscience individuelle. Mais si ce n’est pas par une image choc, comment y parvenir ? Il semble délicat aujourd’hui d’attirer l’attention si ce qui est proposé n’est pas extraordinaire ou venu de contrées lointaines. L’exigence ambiante face au déferlement d’images et de films ''extraordinaires'' a été l’une des premières interrogations dans la recherche. La photo macro n’a rien d’originale puisqu’elle existe depuis des années. Et notre regard s’est également habitué à voir de prés. Science du microscopique, recherches moléculaires, etc. Notre œil sait désormais voir de prés, comme de très loin.


Pour cette série de gouttes de pluie et de rosée suspendues ou déposées dans la nature, je suis allée chercher ce qui me semblait le plus intime et le plus incisif pour rapprocher l’homme de la nature et de lui-même dans sa dimension archaïque d’être vivant fait d’eau et d’oxygène, qui se nourrit d’eau et d’oxygène. Prises au piège dans une toile d’araignée, les perles de pluie deviennent étoiles de la voie lactée. De l’infiniment petit à l’infiniment grand, l’observateur navigue et retrouve ses racines, celles de son humanité ancrée dans la nature. Chasseur, cueilleur, puis éleveur, l’homme retrouve son ancestrale humanité pour laquelle le lien et le respect de la nature sont évidents.
Sans retouche informatique, ce qui est capté n’est rien d’autre que la réalité brute. Mais cette réalité brute résonne avec la nature intérieure symbolique et émotionnelle de l’homme. L'eau est notre
source, notre origine première à la fois universelle et individuelle. Chacun est né de la rencontre du liquide biologique paternel et maternel. L'eau nous entoure depuis notre venue au monde. Le liquide amniotique était notre première réalité. Il fait naître et véhicule nos premières émotions. Par la suite la dimension émotionnelle de l'eau restera ancrée en nous. Nous pleurons de tristesse et de joie. L’eau est aussi le mythe de Narcisse. L'eau nous reflète, elle nous renvoie notre image, ce que nous sommes ou croyons être. C'est l'histoire du Je et de l'ego.
Le goutte d’eau est une porte d’entrée vers la sensibilité intime de l’observateur. La source originelle de vie mise à l’honneur amène d’autant plus l’observateur à se questionner non seulement sur son lien avec l’origine, la nature, mais aussi sur le lien entre individualité et universalité. L’observateur se sait intimement être de la nature Il reprend conscience qu’il a besoin d’elle, et qu’il est responsable du soin qu’il lui apporte par ses actes individuels quotidiens. Il se revoit et se ressent dans un réseau d’écosystèmes uniques à l’échelle individuelle comme à l’échelle universelle, bien que celle- ci lui semble « abstraite » parce qu’invisible. La goutte d’eau invite à entrer en soi pour en sortir. Elle amène l’observateur à se reconnecter à ses origines individuelles autant qu’universelles.
L’eau est au cœur des préoccupations écologiques majeures du XXI ème siècle.
Ce travail photographique de près de deux ans en numérique avait été amorcé en argentique il y a plus de 10 ans et répondait inconsciemment à des interrogations et peurs de l’enfance. Parmi les premiers souvenirs télévisuels, l'un d'eux est celui des inondations de Vaison-La-Romaine de 1992, j'avais 10 ans. C'est ensuite une réflexion et une documentation sur l'environnement et notre consommation en général mais surtout celle de l'eau, ici et ailleurs, qui ont donné naissance à cet axe de travail. Sur les 75 % d'eau qui recouvrent la planète, seuls 3 % sont de l’eau douce. Sur ces 3% d’eau douce, 99 % sont très difficilement exploitables puisque gelés au niveau des calottes polaires et dans les glaciers de montagne ou profondément enfouis dans le sous-sol. Moins de 1 % est donc véritablement disponible pour les êtres vivants qui en dépendent. Aussi près de 2 milliards d'humains n'ont pas accès à l'eau potable. Recycler les eaux usées nécessitent des infrastructures et des traitements chimiques lourds, non seulement polluants mais aussi très coûteux. L'homme pollue pour rendre son eau potable alors que nombre de choses peut être réalisé grâce à la récupération d'eau de pluie. L'agriculture intensive, la linéarité et l'artificialité des fossés, le comblement des mares et points d'eau naturels, l'enrobage et la construction excessive de routes sont autant d'intervention sur la nature qui créent des dérèglements sans précédent concernant directement l'eau et sont à l'origine notamment des inondations en période sèche.
La goutte d’eau est un miroir au même titre que l’homme est un miroir parce qu’il est réfléchissement et réflexion. Il peut penser ce qu'il voit. Il peut voir ce qu'il pense ...
L’eau se dévoile glace aux formes exquises, liquide aux nuances d'acier, perle défiant l'apesanteur. Les gouttes de pluie et de rosée, suspendues ou déposées sur la toile d’araignée, l’écorce, la plume, le rocher, invitent au voyage dans l’univers du vivant.
ANTR'EAU c'est paradoxalement voyager seul(e) dans l'intimité de l'eau, son antre, alors qu'elle est universelle. L'eau connecte à elle-seule tous les êtres vivants du monde. Elle est universelle et n'est pourtant pas universellement partagée. Elle est universelle et pourtant profondément intime.
Elle est vous, elle est moi.
Elle est une goutte dans l'univers, comme vous, comme moi...